Denys EUSTACE

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Je travaille habituellement à l’huile et au couteau, à plat au sol, parfois sur une table. Mes premières œuvres représentaient des visages de personnes purement imaginaires et dont la caractéristique essentielle était d’être extrêmement expressifs. Peints très rapidement au couteau dans un style fortement expressionniste, sans modèle bien sûr et sans dessin ou croquis préalable, toute leur force résidait dans le regard, reflet et miroir des émotions intenses et de l’intériorité de l’âme. Je pense aujourd’hui qu’après avoir décrit ou dépeint les émotions de mes « personnages » (ou les miennes ?), j’ai inconsciemment peut-être, voulu créer directement des émotions, sans passer par l’intermédiaire de regards virtuels. C’est ainsi que j’ai réalisé des œuvres abstraites. Je suis convaincu en effet que les jeux de matières, les jeux de couleurs, les juxtapositions et les fusions , sont de nature à inciter au voyage, à la rêverie, à la réflexion de celui qui regarde une œuvre et qui sait se laisser emporter dans un autre univers. Peindre la réalité visible ne m’intéresse pas. Rechercher ou essayer d’approcher la réalité non visible fait partie de mes réflexions philosophiques et spirituelles . Peindre l’invisible pour le révéler constitue le fond de ma démarche artistique . Celle-ci fait partie intégrante de mes travaux sur la connaissance de soi. Mes œuvres sont généralement peintes très vite. Cependant, la réalisation d’une peinture, ou d’une série, est précédée d’une longue période pendant laquelle je laisse l’environnement extérieur m’influencer, me séduire, me toucher, je laisse mes lectures m’imprégner, je laisse le temps faire son œuvre de maturation. C’est seulement quand je me sens prêt à peindre que je crée. Cela ne signifie en rien que l’œuvre est conçue dans ma tête. Simplement, j’ai atteint un état de préparation, de méditation et une force de création tels que je peux laisser mon énergie créatrice se libérer. Et la peinture se construit d’elle-même. Je ne donne pas de nom à mes œuvres. Seule une référence chronologique permet de les identifier. De même, je signe mes œuvres abstraites au dos de la toile afin de ne pas leur donner de « sens ». Je veux en effet laisser toute liberté au regardeur dans l’interprétation de mes peintures, sans qu’aucun signe ne permette d’orienter sa lecture. Le peintre disparaît alors, laissant le dialogue s’établir en direct entre l’œuvre et celui qui la regarde. L’artiste et sa création peuvent ainsi être considérés l’un et l’autre et chacun à leur façon, comme un médiateur voire un médium  dans le sens où le spectateur peut grâce à une peinture se retrouver face à lui-même. L’œuvre occupe alors une position centrale et le spectateur, lui, une position privilégiée : il est acteur, livré à lui-même et à ses réflexions profondes et intimes. La vérité n’appartient pas à l’artiste, chacun doit faire l’effort de trouver « sa » vérité et son chemin. L’œuvre d’art peut y contribuer. En ce sens et pour ma part, elle est un don, une offrande.